Bonjour
à toutes et tous,
Tout
d’abord, j’aimerais vous remercier pour votre intérêt et votre lecture de
« Cheval océan ».
Comme
vous le savez certainement, j’habite dans le sud de la France, et n’ayant pas de déplacements prévus en région
parisienne sur ce premier semestre, c’est donc avec plaisir que je réponds à
vos questions par écrit.
Est-ce une histoire
vraie, ou est-ce inspiré d'une histoire vraie?
En
littérature, tout est vrai et faux à la fois. Vrai et faux car les auteurs
puisent la matière même de la fiction dans le réel. Pour « Cheval
océan », je me souviens que le texte est né de l’écoute d’un reportage
radio qui donnait la parole à de jeunes filles ayant quitté leur quartier à la
suite d’un viol et d’une grossesse non désirée. J’ai été frappé par la violence
dont elles avaient été les victimes. Violence physique de l’acte bien sûr.
Violence psychologique ensuite car elles subissaient le rejet de leurs ami(e)s
et de leur famille. Comme si pour tous elles étaient les véritables coupables. J’ai
également été frappé par la volonté farouche de ces jeunes filles de
reconstruire leur vie. De cette force qui les habitait, malgré tout.
Pourquoi avez-vous
choisi ce sujet du viol ?
Je
n’ai pas « choisi » le sujet du viol. Quand j’écris, il n’y a pas de
sujet. Il y avant tout des personnages, des voix qui ont des choses à dire, à
chuchoter ou à hurler. « Cheval océan » donne la parole à une jeune
fille qui a été victime d’un viol. Mais Angela ne se résume pas à cela. Et
c’est peut-être justement cela le propos du livre. Après le viol, Angela se
retrouve enfermée dans le personnage de la salope, comme le proclament les
garçons et les murs du quartier, comme l’affirment presque les regards fuyants
et honteux de ses parents. Elle-même n’arrive plus à exister hors de cet
acte-là. Elle se voit comme la victime et la coupable. Même l’enfant qu’elle
porte la ramène à ça. Elle n’est rien d’autre que le viol. Elle est dépossédée
de tout ce qui faisait d’elle un être humain : son histoire, ses joies,
ses peines, ses rêves, son corps. Et c’est là l’enjeu : comment revenir à
la vie après un viol puisque l’acte du viol est la négation même de l’humanité.
Pourquoi ne pas être
tout de suite entré dans le vif du sujet, et l'avoir retardé vers le milieu du
récit?
Ce
n’est pas vraiment un choix. Le personnage d’Angela m’est apparu dans ce décor.
Sa voix est née dans les flots. Je n’ai fait que la suivre.
Je
sais que ce n’est peut-être pas la réponse que vous attendiez. Mais, dans
l’écriture, il y a des choses qui ne s’expliquent pas vraiment, qui appartient
au domaine de l’inconscient.
Si
je tente d’analyser ce choix, je peux tout de même vous donner quelques
réponses plus construites :
Angela
est là, face à l’océan, loin du quartier, et elle peut à présent porter un
regard distancié sur ce qu’elle a vécu. Avec l’océan qui monte, ce sont ses
souvenirs qui refont surface.
Elle
est là, face à l’océan immense, indomptable. Et la furie des éléments, les
parfums, les couleurs, les sons, tout la ramène à son humanité. Son humanité fragile,
éphémère, mais son humanité tout de même. Celle dont elle a été privée jusque
là. Et c’est une première étape dans sa reconstruction.
Et
puis enfin, elle est là, sur cette plage, et cette plage, c’était celle de sa
grand-mère, sa grand-mère fière et indépendante, sa grand-mère qui l’a toujours
encouragée à croire en ses rêves. Et qu’est-ce qu’un rêve sinon la croyance
qu’un autre lendemain est possible ?
Pourquoi ce titre?
C’est
vrai que dans ce titre, « Cheval Océan », il n’est pas question de
douleur, de viol, de reconstruction, de transmission, de courage. Cela ne dit
rien de la vie concrète du personnage. Mais beaucoup plus du lien qu’entretenaient
Angela et sa grand-mère. De leur sensibilité, de leur désir de vivre loin des
contraintes et du poids de la société, de leur goût commun pour le rêve.
J’aurais
pu choisir un titre plus concret mais, en fait, le réel ne m’intéresse pas
vraiment. Je veux dire : il ne m’intéresse pas en tant que tel.
Ce
qui m’intéresse, c’est ce qu’on fait du réel. Que ce soit pour le dépasser,
pour le magnifier ou pour y survivre. La
poésie, la littérature, les arts en général, permettent de mettre le réel à
distance, de le questionner. Et c’est cette sensibilité qui, finalement, donne
la force à Angela de dépasser ce qu’elle a vécu. D’où ce titre, qui ressemble
aux personnages.
A la fin du livre, que
fait-elle de son enfant ?
Honnêtement,
je n’en sais rien. J’ai mon opinion. Mais ce n’est que mon opinion. Et d’autres
lecteurs auront la leur. Et c’est très bien ainsi. Quand j’écris un texte de
fiction, j’évite d’écrire une notice comme on en trouve dans les boites de
médicaments ou avec les meubles à monter en kit. Je n’ai pas envie de vous
dire : voilà ce qui est bien, voilà ce qui est mal, voilà comment il faut
penser. Vous êtes intelligents, sensibles, et j’ai envie de vous laisser votre
place. C’est à vous de décider de la suite du roman. Il y a autant de suites
que de lecteurs. Et c’est là que réside la magie de la littérature, non ?
Pourquoi un récit si
court ?
C’est
le principe de la collection « D’une seule voix » chez Actes sud. Des
textes courts qui donnent à entendre des voix. Des récits intenses, chargés en émotion.
J’écris habituellement soit des textes très courts, des albums abordables pour
les jeunes enfants, soit des romans beaucoup plus denses. Ici le défi était de
faire court et intense à la fois. C’est une très belle collection et je vous
encourage à découvrir d’autres textes.
A quel genre
associez-vous ce texte ?
Ce
pourrait être une nouvelle. Ou une courte pièce de théâtre. Ou de la prose
poétique. Je ne suis pas très doué pour les étiquettes, désolé…
Vivez-vous de l’écriture ?
Financièrement,
oui.
Est-ce facile d'avoir de
l'inspiration ?
Il
faut être à l’écoute du monde. Pour cela je lis des romans, des bandes
dessinées, des journaux, je regarde des films, j’écoute de la musique, je
marche en forêt, je voyage beaucoup.
Mais
vous serez d’accord avec moi : tout le monde a quelque chose à dire. De
soi, du monde qui l’entoure. Ensuite, ce n’est qu’une question de médium (certains
ont la musique, la peinture, la menuiserie, moi c’est l’écriture) et surtout de
travail. Parce qu’il ne suffit pas d’avoir quelque chose à dire pour que l’on
vous écoute. Il faut aussi trouver la façon de le dire pour que les gens aient
envie de vous écouter. Et ça, ça demande du travail.
Avez-vous
"l'angoisse de la page blanche"?
J’ai
surtout peur de n’avoir plus rien à dire. Ce qui signifierait que je ne serais
plus à l’écoute du monde. Et que j’aurais certainement mal vieilli….
Avez-vous modifié le
texte après l’avoir remis à l’éditeur, à sa demande ?
Très
légèrement. Mais mon manuscrit est très proche du livre que vous avez entre les
mains.
Voilà,
j’espère avoir répondu à vos questions. Je l’ai fait rapidement mais
sincèrement. J’aurais aimé venir à votre rencontre et dialoguer de vive-voix,
car rien ne remplace les regards et les paroles. Mais qui sait, ce sera peut-être
pour une prochaine fois ? D’ici-là, je vous souhaite de belles lectures.
Amicalement
Stéphane
Servant